Libre-installation - Le marché de dupes (lire la suite)

Aujourd’hui trois écoles de pensée s’opposent

 

Les défenseurs du « tout libéralisme » qui estiment inacceptable et non-fondée cette nouvelle atteinte de l’Etat sur les libertés individuelles et jugent le professionnel suffisamment adulte pour faire des choix de bon-sens. Ils argumentent que le « marché » et la concurrence font office de régulateur naturel. C’est une vision idéaliste et plutôt sympathique du système (en plus d’être juste) mais peu en lien avec la réalité des budgets d’Etat et du syndicalisme en berne. Ils pensent encore que « pognon » rime avec « raison », alors que la plus pertinente des versifications serait avec « mouton » (à tondre ou à équarrir, au choix)…

 

Les tenants, et c’est une forme de psychologie très en vogue ces temps-ci, du « libéralisme contrôlé », désireux de réglementer l’offre et la demande des soins sur le territoire. Du moins est-ce ainsi qu’ils présentent les choses. Nous verrons que derrière le discours de façade, et évidemment celui de l’UNCAM, des motivations moins cristallines pointent leur bout de nez.

 

Ceux qui pensent que la volonté d’Etat, en ce domaine de « régulation » comme en tant d’autres, est inexpugnable. Que tout cela, ce Waterloo morne plaine, n’est qu’une question de temps, et qu’il convient juste en ce dossier de « sauver les meubles » et de jouer, une fois de plus, aux « pompiers de service ». C’est le real-syndicalisme, centré en lui-même, et conscient de ses mythes et de ses limites.

 

Pourtant le débat de fond (pour autant qu’il y ait débat) n’est pas dénué de sens :

 

Les « plus » d’un tel dispositif

A l’évidence la dyschromie du paysage soignant peut poser problème tant aux patient qu’au praticien.

 
En 2006, en France métropolitaine comptait 102 kinésithérapeutes pour 100 000h. 62 pour la Haute-Normandie, 65 pour la Champagne-Ardenne, 142 pour la Corse, 143 pour le Languedoc-Roussillon, 149 pour PACA (source Egora).

Cela pose évidemment, outre le problème de l’accès dysharmonique aux soins pour les patients, celui de la survie du praticien. Les chiffres d’affaires les plus faibles de la profession se retrouvent aux deux pôles du paysage urbain, les mégapoles où la concurrence fait rage et les déserts champêtres où l’on se transforme volontiers en routards bucoliques du « dom » d’avantage qu’en pilier de cabinet.


Même dans les villes de moyennes importances (celles qui « s’en tirent » le mieux en général) il n’est pas rare de voir un ancien cabinet vaciller sur ses fondations après vingt ans de bons et loyaux services car deux ou trois jeunes écervelés, soucieux de se rapprocher de la mer, du berceau natal ou de l’élu de leur cœur, ont jeté leur plaque sur un mur sans avoir sacrifié à la moindre étude de marché préalable. La « saine concurrence » et la « qualité des soins » ne justifient pas toujours de tous les effondrements.


Sans vouloir faire du « protectionnisme » à tous crins, il est important de veiller à ne pas mettre en péril de manière désinvolte des carrières professionnelles et des investissements souvent lourds.

Les pharmacies le font, pourquoi pas nous ?


La valeur ajoutée à nos cabinets.


Il y a encore vingt ans, la clientèle d’un cabinet se « revendait » une annuité de chiffre d’affaire. Cela permettait à nombre de prétendants à la retraite de « partir » avec un petit pécule qui mettait bien du beurre dans des haricots.

Aujourd’hui, à moins d’avoir la chance d’être sur un « spot » (sommet de la Tour Effel, bureau ovale de l’Elysée, ou Promenade des Anglais) nos clientèles, pourtant fruit d’années de labeur, de fidélisation et de réputation, ne « valent » plus un kopeck. Double-zéro la tête à Toto…

La régulation des installations donnera de facto un coup de brosse à reluire à nos vieilles officines, les rendant à nouveau attractives pour les jeunes prétendants, car seul choix potentiel.


Nous conjecturons par ailleurs que la nouvelle modélisation de répartition des thérapeutes sur le territoire restera sommes toute mesurée et pointée au sceau du bon-sens, et qu’elle n’enverra que très rarement un auvergnat de cœur et de souche usiner en fulminant à Saint-Pierre-et-Miquelon. Tout au plus il est à supposer que, de son choix de prédilection, quelques kilomètres en transport soient à prendre en considération.

 

Les « moins » d’un tel dispositif

Son aspect jeunophobe.

De toute évidence, pour l’écrasante majorité, les seuls primo-diplômés prendront de face l’aspect contraignant du nouveau décret. Les autres, les dinosaures de la profession, ayant depuis long-feu pognon sur rue, regarderont passer son train de mesures en se tapant sur le ventre et en tirant sur leur cigare. Mais cela, plus pernicieux encore, concernera également la frange, certes marginales mais pas tant que cela, des « fragilisés » d’âge mûr du métier, ceux pour qui, à l’occasion d’un accident de la vie quelconque (divorce, déplacement professionnel du conjoint, chute d’activité, burn out) le déplacement d’activité est non-plus un choix mais une nécessité.


Le risque majeur de « rattrapage » de ces mesures par l’UNCAM est également hautement à considérer, non plus comme le souci d’une santé publique équitable et mieux harmonisée sur le territoire, mais comme un nouvel avatar de contrôle de la santé « comptable » sur notre activité, avec pour projectif sibyllin davantage de « s’attaquer » à l’hyperactivité des mégapoles qu’au tarissement en soins des campagnes. Nous préconisons donc d’être particulièrement circonspect envers l’UNCAM, dont le passé de « philanthrope » de la kinésithérapie ne plaide pas en sa faveur, loin de là (cf. les référentiels).


Le fait que, sans mesure incitative d’accompagnement, il faudra « écrêter » très fortement, voir drastiquement, l’hyperactivité des villes pour parvenir à l’exode rural des praticiens. Il est utopique de penser que sans aménagement financier conséquent le kinésithérapeute et sa famille déguerpiront la fleur au fusil des zones « peuplées » ou de leur périphérie immédiate. A moins de mesures parfaitement autoritaires, le désert rural n’y gagnera rien, ou presque rien, en thérapeutes.


Ce décret à venir - et que nos émissaires syndicaux le garde à l’esprit à l’instant d’en « discuter » avec l’UNCAM - est avant tout vécu et souhaité par l’Etat comme un nouvel assommoir de l’hyperactivité citadine davantage qu’un sponsoring rural.

 

Un peu d’anthropomorphisme

  

La désertification des campagnes n’est pas un phénomène touchant par prédilection le paramédical. L’entassement des populations autours des métropoles d’activité est un fait de société touchant toute la planète. La notion de survie économique, le désir de ne pas crever la bouche ouverte, étant fort curieusement un des moteurs communs à tous. L’industrie, le commerce, même et surtout l’Etat, participent largement à ce phénomène, ce dernier n’étant pas en reste à manquer à sa mission pourtant première de « couverture » du territoire français en fermant à tours de bras ses postes, ses écoles, ses gares, ses centres d’accueil CPAM, lorsqu’il ne s’agit pas tout bonnement de ses hôpitaux ou de ses tribunaux.

 

La politique actuelle du gouvernement, du moins pour ce que nous pensons en comprendre, s’illustre davantage par un souci d’économie et une centralisation progressive de ses outils et dépenses d’Etat - coûte que coûte en drames humains et de bourgades - que par son souhait de faire « subsister » le tissu rural. Ca se saurait, et le 13h de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 en prendrait un sacré coup dans le reblochon...

 

Nous ne sommes pas assez férus d’économie pour porter un jugement de valeur ni de fond, mais peut-on décemment demander aux kinésithérapeutes, sans forte contribution financière en retour, d’assumer en lieu et place d’un Etat, lui-même démissionnaire en la circonstance, une mission de « service public » ?

 

Dans le fait d’envoyer vers la ruralité et les terres hostiles à défricher de nouveaux pionniers du médical et leurs familles, il convient de prendre en compte la difficulté posée. Aujourd’hui la gageure pour un couple, quel que soit l’effet de mode, l’attrait du « retour aux sources » et des salades bios, ne se situe pas toujours tant dans l’absence de clientèle indigène potentielle que dans le fait de savoir où trouver un emploi pour le conjoint, une école pour les enfants, où aller chercher ses si (et bien trop) nombreux recommandés, ou simplement acheter son pain ? Comment travailler sans se transformer en « taxi-brousse » à un tarif défiant toute concurrence ?…

 

La pression coercitive, de toute évidence, déplacera le problème en proche banlieue, pas en campagne…

 

 

Le consensus mou



 

Comme en toutes choses la vérité est souvent à l’équilibre des excès. Au centre.

Si l’harmonisation de l’activité sur le territoire est réellement l’enjeu de ces négociations et la sincère préoccupation de l’UNCAM (ce dont nous doutons fortement) il convient de se doter des moyens de sa politique.

 

Voici quelques pistes :

 

Inciter


Une « prime à l’installation » en zone sinistrée.


A défaut de réévaluer l’IFD (Indemnité Forfaitaire de Déplacement) de ville, que l’on rende au moins attractive celle du « hors-agglomération », qu’elle soit en plaine, en montagne, à pied, à ski ou à cheval, histoire que nos « taxis-brousse » cessent d’y être de leur gazole et d’aller visiter les troglodytes en traînant le sabot.


La lettre-clé à « deux vitesses », l’une plus attractive en zones sinistrées, l’autre moins pour les régions surmédicalisées, serait certainement un remarquable moteur de l’harmonisation des soins sur le territoire. Cependant (nous explique-t-on) cela n’est pas possible du point de vue de la Constitution. Reste donc à appliquer son pendant ; le « zéro taxe ». Là encore, « on » nous rétorque que cela existe déjà (ah bon ?) et ne porte pas ses fruits. Qu’« on » nous retire donc les impôts directs et locaux, les taxes professionnelles et foncières, nous verrons bien si cela reste toujours non-incitatif !


La création de « pôles médicaux » pluridisciplinaires regroupant les différents acteurs médicaux et paramédicaux du libéral au sein d’une même structure. Ces locaux seraient mis à la disposition gracieuse des thérapeutes et leur construction à la charge de la ville ou du département.

 

Réguler

 

Cette régulation se doit d’être prudente et de ne concerner que les zone d’hyperactivité patente. De plus, elle doit être ciblée quartier par quartier dans les grandes métropoles, ou ville par ville dans le tissu sub-urbain. La frappe se doit d’être « chirurgicale ». Pour exemple, définir une hyper activité « PACA » serait idiot et irréaliste, l’arrière-pays étant souvent « sinistré » à peine les premiers faubourgs et touristes passés.

 

Cette régularisation se doit d’être souple et progressive dans son application et réversible dans le temps. Aucun système « idéal » sur le papier, aussi scrupuleux soit-il, peut se prévaloir de ne jamais se heurter aux réalités de terrain.

 

Il faut définir sur quel ratio l’on décidera d’une hyper ou d’une hypo activité ?

Le nombre de médecins par kinésithérapeute ? Ce serait absurde, ils souffrent du même mal.

La densité de la population ? Pas plus perspicace. On comprend bien qu’entre 10 patients répartis sur le département de la Creuse ou 10 entassés dans le HLM d’en face, la logistique professionnelle ne peut pas être la même.

Le chiffre d’affaire ? Idem et pour les mêmes raisons.

 

En conclusion

 

Nous entrevoyons bien que la régulation de l’installation du kinésithérapeute sur le territoire français est probablement vécue par l’UNCAM comme un nouvel avatar de sa politique comptable de santé.

 

Qu’une « négociation » sans filet et sans un maximum de garanties dûment paraphées serait à haut-risque pour notre profession.

 

Que la base des calculs, surtout si elle est aux seules mains de l’UNCAM (dont la mauvaise-foi en ce domaine - cf. celle des « référentiels » - est d’usage) se doit d’être réaliste, étudiée et discuté collégialement. Toute l’attention des syndicats signataires doit porter là-dessus.

 

Que sans un pan « incitatif » dans le décret, les campagnes ne gagneront strictement rien en kinésithérapeutes.

 

En outre, nous engageons les syndicats à ne pas se laisser charmer par le chant des sirènes ni à troquer notre liberté d’installation et notre esprit « libéral » contre la seule promesse d’une réévaluation « sucette ». 5% ou même 7% seraient très vite « amortis » par l’UNCAM au travers des 3 ans à suivre de non-revalorisation. Citons pour mémoire que cela lui est extrêmement aisé. Notre lettre-clé, à ce jour, n’a pas été réévaluée depuis 11 ans, et sans raison valable aucune.

 

Nous rappellerons enfin qu’un autre chantier « brûlant » et loin d’être résolu est déjà en cours, celui des « référentiels-kiné ». Personne aujourd’hui, et l’UNCAM moins que quiconque, n’est en mesure d’en apprécier les retombées sur l’activité de la profession (certains parlent d’une baisse de 30%). Dans ce contexte de séisme à venir, il apparaît raisonnable de se doter du temps de l’observation et de la réflexion. Il est urgent d’attendre.

 

L’avenir de la kinésithérapie et des soins paramédicaux, nous aimons à le rappeler à l’UNCAM et à son directoire, ne se jouent pas à la roulette russe…

 

 

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