Référentiels - Chronique d'un kinocide annoncé (lire la suite)

Pour ceux, les incurables optimistes (ou inconscients ?), qui imaginent encore que cela « ne peut pas arriver », nous les renverrons à l’histoire très contemporaine de nos collègues belges qui, en l’espace de quelques mois et suite à des mesures gouvernementales non-moins funestes et tout aussi frivoles, ont perdu 35% de leur communauté. Un carnage…

Si nous sommes certains que les baraques à frites de Malo Bray-Dunes y ont gagné en personnel surqualifié et en fancy-fair à la fraise, ou que notre bel hexagone s’est brusquement enrichi d’une vague - que dire ! D’un  tsunami ! - cosmopolite noir jaune rouge de nouveaux praticiens, nous serons d’avantage réservés sur l’intérêt que le patient batave y a trouvé en confort de vie et en qualité de soins…

 

D’un certain côté, nous entendons bien qu’il soit nécessaire pour l’Etat de veiller au bon équilibre de ses budgets. Qu’il ne peut laisser sans contrôle les hommes en blanc tirer des chèques en blanc sur la société, particulièrement en cette période de crise et de « croissance négative » où les recettes sociales entrent moins vites qu’elles ne se redistribuent. Pour autant, nous apprécierions que ce « contrôle » se fasse à l’image de ce fondement que l’on nous a tant opposé, jusque sur nos feuilles de soins : avec « tact et mesure ». Et en ce sens, il apparaît que les référentiels s’apparentent d’avantage au bulldozer bolchevique qu’au scalpel chirurgical de Dr Fol Amour...

Un nouveau lapin sorti du chapeau

 

 

La « médecine comptable » n’en est pas, loin de là, à son premier avatar.

  • L’enveloppe globale. L’idée était simple, voir simplette. Le ministère de tutelle allouait à la kinésithérapie un plafond de dépenses au-delà duquel les honoraires de la profession ne seraient pas réévalués, voir même dévalués, l’année suivante. C’était bien sûr l’antithèse du « meilleur soin au meilleur coût » puisque les cabinets-usine continuaient d’usiner et que le praticien consciencieux voyait, quant à lui, ses efforts méprisés. De plus, le principe était à la base malhonnête (de la part de l’UNCAM ? Cela étonne…) car conçu de manière à ne jamais avoir à nous revaloriser puisque cette « enveloppe globale » était calculée de manière tellement stricte que le simple jeu naturel de la démographie professionnelle (primo-diplômés, collègues immigrants) nous entraînait presque mécaniquement au-delà du seuil d’efficience.
     
  • Les quotas. C’est sans doute la « moins pire » des mauvaises idées fourbies par l’UNCAM. Le praticien évoluait également au sein d’une enveloppe de dépenses, mais cette fois-ci individuelle. Cela pouvait s’entendre comme une incitation au travail scrupuleux et comme un blâme fait aux « thérapeutes » hyperactifs. Le problème, et raison de l’insuccès du système, c’est qu’une fois encore l’UNCAM dissimulait des desseins déloyaux, non pas ceux de parvenir à une para-médecine de qualité, mais d’asseoir progressivement son contrôle financier sur la profession en baisant régulièrement le plafond des quotas.

 

  • Les pressions diverses sur le médecin-prescripteur. Bien plus insidieuses mais non-moins redoutables, qu’elles soient d’ordre administratif (médecin-contrôleur tatillon, expertise systématique des patients du Dr untel, quotas à la prescription, voir même - nous avons connaissance d’un tel cas - mise sous « tutelle » de l’omnipraticien et de son ordonnancier) ou d’ordre financier (reversement aux médecins des « bonus » réalisés sur le dos de « l’enveloppe globale kiné » lorsque que celle-ci n’atteint pas son seuil, « chèque de la honte » d’incitation à la non-prescription d’acte de kinésithérapie)…

 

  • Les actuels référentiels. C’est de toute évidence le « grand bêtisier » de pires concepts de l’UNCAM. A croire que, tel le poisson rouge dans son bocal, elle ne retient aucune leçon de ses erreurs passées. Cette « nouvelle méthode » reprend scrupuleusement, voir méthodiquement, toutes les anomalies des précédentes sans, en contre-partie, présenter le moindre avantage.

 

Nous ne sommes pas scientifiques ni statisticiens, nous ne pouvons donc juger des choses qu’à l’éclairage de notre propre expérience. Nous ne nous prononcerons donc pas sur la forme (quotité de séances suffisantes ou non) mais sur le fond de cette mesure :

 

Le kinésithérapeute, mais aussi le médecin-traitant, sont méprisés, voir humiliés, dans leur intégrité soignante mais également dans leurs compétences supposées. Une courbe financière prévaut à présent sur leur opinion médicale. Notre « bilan-diagnostic » devient de facto une feuille de choux sans le moindre intérêt, puisque tout le monde s’en fout (déjà que…).

 

Le patient est nié dans son individualité et son droit à la différence. C’est « Métropolis », la dictature de la « norme normative des gens normaux ». De plus, ne seront concernés par ces nouvelles mesures coercitives que les malades sur lequel le sort s’acharne déjà puisque présentant une complication dans le retour à une réadaptation satisfaisante.

 

C’est l’apologie du « meilleur coût, qu’importe le soin » puisque, une fois encore, ce sont les « thérapeutes » hyperactifs, les cabinets-usine, souvent ceux des villes de petite ou moyenne-importance, qui souffriront le moins de ce décret. Tout au plus vireront-ils un assistant ou deux ou la secrétaire…

De leur côté, les cabinets du désert rural ou, à contrario, ceux du cœur fourmillant des mégapoles à la concurrence si rude, dont les balances financières sont souvent extrêmement fragiles, voleront en éclats dès l’application des premières mesures…

 

Personne aujourd’hui, comme nous l’avons mentionné en introduction, n’est capable de mesurer l’impacte réel d’un tel arrêté puisque, pour la première fois, l’on ne parle plus d’argent ou de pourcentage de dépense (somme-toutes assez contrôlables) mais d’actes. Aucun n’a à ce jour entre les mains l’outil statistique suffisamment fin pour prédire ce qu’il en coûtera d’activité à la profession si on la consigne par pathologie. Et il ne nous apparaît pas qu’un parachute de secours soit prévu dans les textes…

 

C’est la victoire de la « machine » sur « l’homme », puisqu’un système logarithmique kafkaïen prend le relais de l’intelligence et de l’intuition humaine. Aux divers ateliers de la Formation Continue, nous proposerons donc une nouvelle spécialisation : « construisez vous-même votre petit robot-kiné » dans lequel l’UNCAM n’aura plus qu’à glisser à l’avenir ses cartes-programmes…

 

Et quid de nos syndicats ?

 

 

Nous pouvons bien le dire sans trahir une quelconque vérité, une fois de plus ils ont été « Gros jean comme devant », Monsieur Frédéric Van Roekeghem, président en fonction de l’UNCAM, se révélant être en ce dossier plus facétieux que jamais.

 

D’abord pressentis comme « consultatifs » dans l’élaboration des référentiels, la FFMKR, le SNMKR et l’Ordre des kinésithérapeutes, furent rapidement renversés culs par-dessus têtes (et du même coup notre représentativité et la voix du professionnel lambda) par un UNCAM goguenard et soucieux de boucler au plus vite son « petit rapt financier » avec sa cops HAS.

 

Il est tellement plus simple de gouverner le peuple sans le peuple…

 

Humiliation et sidération passées, nos émissaires retrouvèrent un peu de couleur. Ordre, SNMKR puis FFMKR (dans cette combinaison exactement, n’en déplaise aux biographes claniques) commencèrent à donner de la voix. Aujourd’hui, même si nous sommes conscients (et que nos syndicats ne le sont pas moins) qu’il s’agit-là que d’un mur de sable pour contenir l’océan (le « gros » des mesures étant déjà passé en force) de notables amendements des textes originels ont été obtenus, et si ce n’est pas grand chose, ça n’est pas rien non plus.

 

Nous ne parlerons donc pas de recul de l’UNCAM, bien sûr, mais d’une pause-café…

 

Quel avenir pour les référentiels ?

 

 

 

A l’heure de mettre en ligne cet éditorial nous n’en savons guère plus.

Nous pouvons simplement affirmer que cinq référentiels sont d’ors et déjà validés par la HAS (donc entreront, si ce n’est encore fait, en application très prochainement) :

 

  • La reconstruction du ligament croisé antérieur du genou : 40 séances.
  • Les entorses cheville-pied : 10 séances.
  • La libération du médian du canal carpien : 0 séance
  • L’arthroplastie de hanche par prothèse totale de hanche : 15 séances.
  • L’arthroplastie du genou par prothèse totale du genou : 25 séances. 
  • La chirurgie réparatrice de réinsertion ou de suture simple du tendon rompu de la coiffe des rotateurs restant, quant à elle, en suspend : l'UNCAM proposant 30 séances et la HAS conseillant une fourchette entre 40 et 45 séances.

 

Il faut savoir que pour les référentiels validés, la HAS s'est bornée à indiquer (nous vous laissons apprécier la subtilité du verbe) que « Le Collège a bien noté qu’il s’agissait de fixer un seuil à partir duquel la poursuite des soins nécessitait le recours à la procédure de l’entente préalable et non de définir un nombre maximum de séances remboursables, pas plus que de formuler des recommandations de bonne pratique clinique applicable à ces actes ».

 

Tout au plus, étymologiquement parlant, cela indique que la HAS, loin de se prononcer sur une bordure d’efficience par pathologie, ce qui serait d’ailleurs inconséquent et indigne d’elle, invite au retrait pur et simple, car inadapté, de l’entente préalable en amont et tant que le seuil critique par pathologie n’est pas atteint…

 

Il faut donc entendre les travaux de la HAS comme une déclaration de guerre à l’encontre de l’entente préalable et non pas comme une limitation de notre activité et de notre libre-arbitre.

 

C’est Monsieur Frédéric Van Roekeghem qui va nous en piquer une colère toute rouge !

 

Par ailleurs, nos syndicats ont obtenu la re-promesse (qui n’engage que ceux qui les écoute) d’être de re-chef re-parachutés comme « re-consultatifs » dans l’élaboration des référentiels suivants qui, hélas, prévoient d’être pléthores. Il semblerait qu’un « gel pour avis » des quatrième au sixième soit dans l’air du temps…

 

Par ailleurs, plusieurs questions de fond, et non des moindres, restent en jachère :


·
       
Une augmentation tarifaire sera t-elle connexe à l’effort consenti par la profession ?
 
·        Combien de « référentiels » seront mis en chantier ?

·        Dans quelle proportion et dans quels cas sera t-il envisageable de dépasser le seuil de séances édicté (on avance le chiffre de 5% de la « masse globale ») ? Qui en décidera alors ? A qui devra-t-on adresser notre « dossier » ? A Monsieur Sarkozy, au préfet de région, ou au médecin-contrôleur de la Sécurité Sociale ?

·
       
Prévoit-on un « amendement » des référentiels si l’expérience tourne court et qu’ils démontrent leur inadaptation aux réalités de terrain ? En ce cas, qui sera là pour en juger et sur quel « matériel » statistique l’analyse s’appuiera-t-elle ? La plainte du patient devant son poste de télévision d’avoir encore mal à son genou et de ne toujours pas réussir à monter son escalier ?

·
       
Les centres de rééducations, souvent préemptifs des grosses pathologies « référencées », mangeront-ils toute la part du fromage libéral (ou ce qu’il en reste) ou seront-ils tenus hors-barème ?

·
       
Monsieur Frédéric Van Roekeghem veut-il définitivement « la peau » de la kinésithérapie libérale de ville (ou de campagne) ? En ce cas, il serait plus humain de sa part de nous le dire, afin que nous envisagions les reconversions possibles…

 

L’Impolitique de Santé

 

 

Nous aimerions rappeler que la kinésithérapie pesant moins de 3% sur les dépenses de santé, nous ne pouvons pas être la solution à tous les maux de Dame Sécu ni son bouc-émissaire tout désigné. Mettre à bas notre profession (puisque tel semble être l’enjeu, n’est-il pas ?) n’aboutira à aucun résultat sonnant et trébuchant. A contrario (sans mettre en avant nos existences et celles de nos familles) l’impact sera considérable sur la qualité de vie de bon nombre de nos concitoyens et les conséquences sur le handicap, les arrêts maladie, donc sur « l’outil de travail » comme aiment à l’évoquer si poétiquement nos économistes de Bercy, parfaitement inchiffrables…

 

Nous rappelons également que la population hexagonale vieillit à grands-pas et que nous sommes, professionnels du corps, du mouvement et de la prévention, aux avant-postes du maintient de son autonomie tardive, donc à l’origine d’économies colossales réalisées autours de la grabatisation progressive.

 

Et quoi dire du développement de l’hospitalisation à domicile (intelligemment souhaitée par l’Etat car bien moins onéreuse et tellement plus humaine) dont le kinésithérapeute et l’infirmier sont le socle incontournable ?

 

Malgré tous ces nouveaux « challenges », depuis plusieurs années et suite aux louables efforts de toute une profession (- 57% de perte de son pouvoir d’achat en 30 ans), les dépenses de la kinésithérapie sont assez peu inflationnistes et budgetophage, ce qui semble indiquer une ligne de conduite pérenne, sorte de reflet d’une évidente maturité et d’une stabilité viable. Il faut vraiment un grand manque de clairvoyance - et nous pesons nos mots - pour mettre en péril, tels que le font aujourd’hui les « référentiels », un équilibre fragile et si chèrement acquit…

 

Nous pouvons donc espérer de notre ministère de tutelle, même s’il semble devoir s’asseoir présentement sur le confort existentiel de nos patients, qu’il regarde un peu plus loin que son bout de bec budgétaire et qu’il mène une politique moins galiléenne. Car, sans être nous-même économiste, notre intuition nous porte à croire qu’un petit profit à court-terme peut s’avérer être quelques années plus tard un insondable panier-percé.

 

Mais, peut-on raisonnablement espérer d’hommes politiques ou de hauts-fonctionnaires, souvent aux « affaires » de manières si éphémères, qu’ils se soucient de l’après eux ?

Voilà bien toute la difficulté…

Viennent les référentiels sonne notre heure
Les politiques s'en vont le kiné meurt.

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